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Dans la vallée, les Taat étaient en train de ramasser les déchets le long de la plaine inondée, leurs thorax rendus verts sous la lumière brumeuse de Jwlio. Avec le reste de leur territoire de forage en partie détruit par un vaisseau défoliateur Chiss, les travailleurs mettaient littéralement le sol à nu, ne laissant rien dans leur sillon, mis à part de la chaume de rooj et de la terre. C’était un acte désespéré mais les insectes n’avaient pas le choix. Leurs larves mouraient de faim.
Face à tant de pauvreté et de souffrance, Jaina Solo eut du mal à manger sa part de thakitillo vert, mais c’était le seul et unique plat au menu ce soir-là. Le jour d’après, ce serait de la côte de brot ou des œufs de krayt qu’elle mangerait également. Elle insultait les Taat en ne le faisant pas.
Jaina avala une cuillerée de lait caillé et observa ses compagnons dans la véranda. Ils avaient tous pris place sur de vieux bancs, tenant leurs bols sur les genoux et utilisant de petites bulles de Force pour tenir la poussière à l’écart. Malgré les vents de sable dus à la gravité de Qoribu – la planète principale de Jwlio –, le groupe avait l’habitude de prendre ses repas à l’extérieur. Personne ne souhaitait s’éterniser dans l’atmosphère chaude et humide des cavernes du nid.
Jaina tapota sa cuillère contre son bol.
— OK, demanda-t-elle. Qui est le responsable ?
Un par un, les autres levèrent les yeux, leurs visages trahissant différents degrés de culpabilité. Peu après leur arrivée, les membres de l’équipe avaient découvert ceci : dès qu’ils évoquaient un aliment particulier, les Taat leur en livraient une cargaison dans les jours qui suivaient. Soucieuse de ne pas gaspiller les ressources limitées de leurs hôtes, Jaina avait proposé au groupe d’éviter de parler de nourriture devant les Taat, avant de tout bonnement leur interdire.
Tesar Sebatyne finit par donner un petit coup de talon.
— Ça aurait pu être ze bruit.
— Aurait pu ? demanda Jaina. Ou tu as parlé, ou tu t’es tu.
Les écailles dorsales de Tesar se dressèrent. L’équivalent Barabel du rougissement.
— Tesar n’a rien dit. Il l’a penzé.
— Ils ne peuvent pas deviner nos pensées, fit Jaina.
Elle regarda chacun des membres du groupe et attendit patiemment.
— Je suis juste content que ce soit du thakitillo plutôt que du rat skal ou un truc comme ça, finit par déclarer Zekk. (Assis sur le banc à côté de Jaina, il avait les cheveux aussi longs et effilochés que dans son adolescence, mais c’était la seule chose qui n’avait pas changé. Une accélération soudaine de croissance avait fait de lui une sorte de géant humain de deux mètres de haut et muni d’épaules aussi larges que celles de Chewbacca.) Je croyais que les Barabels aimaient chasser leur propre nourriture.
— Quand on le peut. Mais Tesar songeait au dernier repas à bord du Dame Chance. Il a toujourz le goût du thakitillo quand il ze rappelle Bela, Krasov et… les autres.
Cette évocation de la mort de son frère – sept ans maintenant – ébranla profondément Jaina. D’habitude, ses fonctions de Jedi l’empêchaient d’y penser mais il restait toujours des moments comme celui-ci, où ce souvenir venait la foudroyer tel un orage Nkllonien.
— Les Taat devinent donc nos pensées, remarqua Tahiri.
Lowbacca laissa échapper un long râle Wookie.
— Je suppose qu’il nous faudra à présent éviter de penser à la nourriture, admit Jaina. On est des Jedi. On n’a pas le droit de bâfrer comme des Hutts quand les larves Taat crèvent de faim.
— C’est beaucoup moins drôle, en effet, observa Alema Rar. En fait, ce n’est pas drôle du tout.
Zekk engloutit à son tour une cuillerée et demanda :
— Ça ennuie quelqu’un qu’ils lisent dans nos pensées ?
— Ça devrait, rétorqua Jaina. On devrait se sentir un peu violés et mal à l’aise, vous ne croyez pas ?
Alema haussa les épaules.
— Tout ça, c’est pour les esprits étroits. Moi, je me sens bien.
— Pour moi, c’est pareil, fit Jaina. Et pour toi Zekk ?
— Je ne faisais que demander, dit-il. Ça ne m’ennuie pas non plus.
— Moi non plus, ajouta Tekli. (La petite Chadra-Fan poilue contracta son museau évasé.) Pourtant, on évite bien d’entrer en fusion mentale parce qu’on n’aime pas partager nos sentiments…
— C’est différent, précisa Tahiri. On se tape sur les nerfs.
— C’est un euphémisme, dit Jaina. Je n’oublierais jamais la première fois où Tesar a vu un rallop.
— Ou combien Tezar a été perturbé quand Alema a voulu faire son nid avec ce lutteur Rhodien. Il lui a fallu une bonne zemaine avant de se remettre à chasser.
Alema sourit en se remémorant cet épisode et dit :
— Faire mon nid n’était pas vraiment ce que j’avais en tête.
Lowbacca fit tomber son bol sur le banc mitoyen, grognant son dégoût. Après la guerre, Jaina et les autres avaient commencé à éprouver des sautes d’humeur totalement inexpliquées, à chaque fois qu’ils se retrouvaient tous ensemble. Il n’avait fallu que quelques jours à Cilghal pour diagnostiquer le problème. Leur trouble était une réaction à la fusion mentale guerrière des Jedi. Leur utilisation prolongée de ce savoir au cours de la mission Myrkr avait atténué les frontières entre leurs esprits respectifs. Résultat, leurs émotions avaient désormais tendance à venir s’immerger dans la Force pour s’y mélanger dès qu’ils étaient proches les uns des autres.
Selon Jaina, c’était la raison pour laquelle tant de survivants du commando avaient du mal à continuer à vivre. Tenel Ka s’en sortait bien en tant que reine. Et Tekli et Tahiri considéraient Zonama Sekot à la fois comme un ami et un foyer. Mais les autres – Jaina, Alema, Zekk, Tesar, Lowbacca et Jacen – semblaient plus que jamais isolés et perdus. C’était pourquoi Jaina n’était pas parvenue à entrer en contact avec Jagged Fel à l’époque où il servait encore comme agent de liaison Chiss au service de l’Alliance Galactique. Elle était amoureuse de lui mais n’avait cessé de s’en éloigner. Elle s’était éloignée de tout le monde, en réalité.
Consciente qu’elle avait laissé son humeur affecter le reste du groupe, Jaina se força à sourire.
— J’ai de bonnes nouvelles, dit-elle. Jacen arrive.
Comme elle l’avait espéré, l’annonce provoqua des réactions immédiates – surtout de la part de Tahiri, qui avait une affinité particulière avec Jacen depuis leur séjour au cœur de l’antre de torture Yuuzhan Vong.
Mais ce fut Alema – toujours prompte à montrer son attirance pour les mâles – qui demanda :
— Il arrive bientôt, tu crois ?
— Difficile à dire, répondit Jaina. Mais il semble qu’il se soit débarrassé de tout ce qui le retardait.
— Comment va-t-il trouver la Colonie ? demanda Tahiri. Tekli et moi nous serions perdues sans l’aide de Zonama Sekot.
— Je lui ai laissé un message avec les coordonnées du nid Lizil, précisa Jaina. Alors, espérons qu’il tentera d’établir la…
Soudain prise de panique, elle ne put terminer sa phrase. Une étrange sensation naquit à l’intérieur de Jaina et pour la première fois, elle eut l’impression de ressentir quelque chose à la place de son frère. Puis les bols de thakitillo se mirent à vibrer. Ses compagnons se levèrent et saisirent leurs sabres laser.
— Vous l’avez ressenti, vous aussi ? demanda Jaina.
— De la peur, confirma Zekk. De la surprise aussi.
Lowbacca émit un puissant râle.
— De la résolution, également, observa Jaina.
— Nom d’un Bantha, c’était quoi ? demanda Tahiri. On aurait dit que les Taat avaient fusionné avec nous.
— Ils sont peut être plus sensibles à la Force qu’on ne le pensait, suggéra Alema.
Jaina scruta le visage de ses compagnons et ne vit que des regards remplis de doute.
Un grondement singulier se fit entendre à l’intérieur du nid. De longues volutes de fumée noire jaillirent des conduits d’aération au-dessus du hangar, puis un nuage de navettes en forme de flèches assombrit le ciel qui surplombait la vallée et commença à grimper en direction des anneaux de Qoribu.
— On dirait bien qu’une nouvelle escadre de défoliateurs est à l’approche, déclara Jaina, presque soulagée. Allons leur régler leur compte.